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Sénégal, Cap-Vert, Ghana… Ces États africains qui étouffent sous le poids de la dette.

Avec des ratios d’endettement supérieurs ou proches de 100 % du PIB, le Sénégal, le Cap-Vert et le Ghana incarnent une nouvelle géographie du risque souverain en Afrique. Entre dette cachée, service explosif et pressions des marchés, ces pays se retrouvent piégés dans un étau budgétaire qui menace autant leurs finances publiques que leurs marges de manœuvre politiques.


Une crise de la dette qui se recompose en Afrique

La crise de la dette africaine n’est plus seulement une histoire de pays pauvres très endettés des années 1990. Elle se joue aujourd’hui dans des économies à revenu intermédiaire, souvent présentées comme des « bons élèves », mais rattrapées par une accumulation de dettes publiques devenue difficilement soutenable.

Selon les travaux récents de la CNUCED et d’instituts internationaux, la dette publique africaine a doublé entre 2010 et 2024, pour atteindre environ 2 000 milliards de dollars, tandis que 23 pays sont désormais considérés comme en situation de surendettement ou à haut risque de surendettement.

Dans ce paysage, le Sénégal, le Cap-Vert et le Ghana apparaissent comme des cas emblématiques de pays qui étouffent sous le service de la dette, pris en tenaille entre la hausse des taux, le durcissement des conditions d’accès aux marchés internationaux et la pression des besoins sociaux.


Sénégal : du « bon élève » de l’UEMOA au pays le plus endetté du continent

Le cas sénégalais est spectaculaire.
Pendant des années, Dakar était présenté comme un modèle de gestion macroéconomique. Puis, les audits et révisions statistiques ont mis au jour une dette cachée, non comptabilisée par l’ancienne administration.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la dette publique du Sénégal atteignait déjà 105,7 % du PIB fin 2024, avec un déficit budgétaire de 11,7 % du PIB, des chiffres que l’institution a validés après une mission à Dakar.

Un rapport de la Cour des comptes, largement relayé par la presse, a ensuite réévalué la dette à près de 119 % du PIB pour 2024, faisant du Sénégal le pays le plus endetté d’Afrique sur la base de ce ratio, rejoignant ainsi la Zambie et le Cap-Vert dans le club restreint des pays africains dépassant les 100 % du PIB.

La réaction des marchés ne s’est pas fait attendre :

  • l’agence S&P Global a dégradé la note souveraine du Sénégal à B- avec perspective négative, en pointant un endettement jugé « très élevé » et des besoins de financement massifs ;
  • les euro-obligations sénégalaises ont vu leurs rendements s’envoler au-delà de 16 %, sur fond de blocage avec le FMI et de polémique autour de 7 milliards de dollars de dettes cachées.

Résultat : le Sénégal consacre une part croissante de ses recettes au service de la dette, dans un contexte où les besoins de financement restent élevés (hydrocarbures, infrastructures, dépenses sociales). La marge de manœuvre budgétaire se rétrécit dangereusement, et les discussions avec le FMI sur un nouveau cadre d’appui restent sous haute tension.


Cap-Vert : l’archipel piégé par un endettement structurel

Le Cap-Vert est un autre visage de la crise. Petit État insulaire, très dépendant du tourisme et des importations, le pays vit avec un niveau d’endettement structurellement très élevé.

D’après les analyses conjointes du FMI et de la Banque mondiale, le Cap-Vert a longtemps été classé parmi les États à haut risque de surendettement, avec un ratio de dette publique dépassant 110 % du PIB dans les années post-Covid.

Les dernières évaluations du FMI indiquent :

  • un ratio dette/PIB en baisse, mais toujours très élevé,
  • une trajectoire jugée « modérément risquée » pour la dette extérieure, tout en rappelant que le pays reste exposé à des chocs touristiques, climatiques et de taux.

En clair :

  • le Cap-Vert a entamé un effort de redressement,
  • mais il reste coincé dans un modèle où la dette est chronique : service de la dette lourd, faible diversification productive, vulnérabilité aux chocs externes.

Dans ces conditions, une remontée durable des taux d’intérêt ou un nouveau choc sur le tourisme peut rapidement remettre en question la viabilité de la trajectoire de la dette.


Ghana : de l’eldorado obligataire au défaut et à la restructuration

Le Ghana représente un cas d’école. Longtemps encensé par les marchés comme un émetteur dynamique d’eurobonds et un pôle de stabilité en Afrique de l’Ouest, le pays a finalement été rattrapé par une spirale d’endettement externe insoutenable.

Selon l’analyse de viabilité de la dette réalisée conjointement par la Banque mondiale et le FMI, la dette ghanéenne est désormais jugée insoutenable et le pays est classé en situation de détresse de la dette (« debt distress »).

Quelques repères récents :

  • en mars 2025, la dette extérieure du Ghana atteignait environ 28,5 milliards de dollars, soit près de 28,5 % du PIB, mais la charge du service de la dette est disproportionnée par rapport aux recettes du pays ;
  • le pays a suspendu ou réorganisé les paiements sur certains instruments, entrant dans un processus de restructuration sous l’égide du FMI et des créanciers officiels et privés.

Pour la population, cela se traduit par :

  • une hausse des impôts et des prix,
  • des coupes dans les dépenses publiques,
  • et un mécontentement social croissant, avec des manifestations demandant l’allègement de la dette africaine au-delà du seul cas ghanéen.

Le Ghana illustre le piège classique de l’endettement en devises : quand les taux montent et que la devise locale se déprécie, le coût du service de la dette explose et commence à absorber une part disproportionnée des ressources publiques.


Même symptôme : un service de la dette qui étrangle les budgets

Au-delà de leurs différences, le Sénégal, le Cap-Vert et le Ghana partagent un même symptôme :
La part du budget absorbée par le service de la dette devient intenable.

Les travaux récents sur la dette africaine montrent que dans des pays comme le Ghana, la Zambie ou le Kenya, le service de la dette peut capter 30 à 50 % des recettes publiques, souvent plus que les budgets combinés de la santé et de l’éducation.

Cette dynamique conduit à un effet ciseau :

  • d’un côté, les États doivent honorer leurs échéances pour éviter le défaut et conserver l’accès au financement ;
  • de l’autre, ils sont acculés à réduire ou différer les dépenses sociales et d’investissement, au risque de pénaliser la croissance et de provoquer des tensions sociales.

Autrement dit, la dette cesse d’être un levier de développement pour devenir une contrainte budgétaire permanente.


Un système international et régional à revoir

Face à cette situation, plusieurs rapports et travaux de plaidoyer soulignent la nécessité de réformer en profondeur l’architecture de la dette souveraine :

  • améliorer le cadre commun du G20 et les mécanismes de restructuration ;
  • intégrer plus systématiquement les créanciers privés et non traditionnels (fonds, Chine…) ;
  • prévoir des instruments de dette liés au climat ou à la croissance, permettant d’alléger le service en cas de choc ;
  • renforcer la transparence sur les engagements, pour éviter la multiplication des dettes cachées.

Sur le plan interne, ces pays n’ont guère le choix :

  • revoir leurs stratégies d’endettement,
  • améliorer la qualité de la dépense publique,
  • renforcer les institutions de contrôle (cours des comptes, parlements),
  • et diversifier leurs économies pour ne plus dépendre d’un nombre limité de rentes (matières premières, tourisme, hydrocarbures).

Sénégal, Cap-Vert, Ghana… Ces pays ne sont pas seulement « trop endettés ». Ils sont surtout les symptômes d’un modèle où l’on a longtemps misé sur la dette comme raccourci vers le développement, sans sécuriser ni la qualité des projets financés, ni la résilience face aux chocs. Tant que le service de la dette continuera de peser plus lourd que l’investissement dans les populations, la promesse de la dette comme levier de progrès restera une promesse non tenue.

La Rédaction

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