Sénégal – BOAD : L’État décide enfin de “faire travailler” ses actifs.
Un accord pour réveiller le patrimoine caché de l’État
Le Sénégal ne veut plus se contenter d’empiler des bâtiments, des infrastructures et des participations publiques qui dorment dans les bilans.
Le 23 novembre 2025, à Lomé, l’État du Sénégal et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) ont signé un accord stratégique pour valoriser les actifs publics sénégalais à travers la création d’un Fonds de valorisation des actifs du Sénégal (FOVAS).
Derrière ce nom technocratique, l’idée est simple : transformer des actifs souvent sous-exploités en véritable levier de financement du développement. Autrement dit, faire en sorte que le patrimoine de l’État cesse d’être un décor et devienne une source régulière de recettes et d’investissements.
Le FOVAS, nouvelle “boîte à outils” de l’État
Le Fonds de valorisation des actifs du Sénégal (FOVAS) est conçu comme un mécanisme financier dédié à la gestion active du patrimoine public.
L’ambition, selon les autorités et la BOAD, est de regrouper et structurer une partie des actifs de l’État – infrastructures, biens immobiliers, participations dans certaines entreprises publiques ou parapubliques, réseaux stratégiques – dans un véhicule à part, doté d’une logique de rendement et de performance.
Concrètement, cela doit permettre :
- de mieux identifier les actifs stratégiques et leur valeur réelle,
- de professionnaliser leur gestion,
- de générer des flux financiers réguliers (loyers, redevances, dividendes, concessions…),
- de servir de base à des montages financiers (titrisations, partenariats public-privé, fonds d’investissement, etc.).
Plusieurs médias sénégalais et régionaux convergent sur un point : le FOVAS marque la volonté de l’État de passer d’une logique de patrimoine “passif” à une gestion plus offensive et financièrement intelligente de ses actifs.
La BOAD, plus qu’un simple bailleur : un architecte financier
Dans cet accord, la BOAD ne se contente pas de signer un chèque. La banque régionale s’affiche comme co-architecte du dispositif.
Elle apporte plusieurs briques essentielles :
- Expertise en structuration financière : identification des actifs, choix des véhicules (fonds, sociétés de projet), scénarios de concessions ou de PPP, calibrage des flux financiers.
- Rôle de catalyseur pour attirer d’autres investisseurs :
- institutions financières internationales,
- fonds d’investissement,
- investisseurs privés régionaux ou étrangers.
Objectif affiché : déclencher un effet multiplicateur. Avec un montage bien structuré, un actif public bien valorisé peut servir de garantie, de collatéral ou de socle pour mobiliser beaucoup plus de capitaux que ce que l’État pourrait lever seul.
La BOAD espère aussi, à travers ce partenariat avec un pays vitrine comme le Sénégal, poser un modèle reproductible dans d’autres États de l’UEMOA confrontés à la même question : comment financer leurs ambitions sans crever le plafond de la dette ?
Diversifier les recettes, soulager le budget
D’un point de vue macroéconomique, le message est clair : il s’agit de diversifier les sources de financement de l’État.
Les communiqués officiels et la presse économique insistent sur plusieurs objectifs :
- Moins dépendre de l’impôt et de la dette classique
Le Sénégal, comme beaucoup de pays africains, est pris en étau entre des besoins massifs de financement (infrastructures, social, sécurité, transition énergétique…) et des marges de manœuvre budgétaires limitées.
En valorisant son patrimoine, l’État cherche à créer une “troisième jambe” à côté de l’impôt et de l’endettement. - Renforcer la trajectoire budgétaire
Des actifs mieux gérés et plus rentables, ce sont des recettes récurrentes, qui peuvent améliorer le solde budgétaire, sécuriser certaines dépenses et rassurer les partenaires financiers. - Soutenir la croissance sans exploser la dette
En faisant entrer des investisseurs privés ou institutionnels dans des montages adossés à des actifs, l’État peut financer des projets structurants sans tout porter en dette souveraine sur son propre bilan.
En filigrane, il s’agit de répondre à une question cruciale : comment continuer à investir massivement dans les infrastructures et les services publics dans un contexte de coûts d’emprunt élevés et de surveillance accrue des niveaux d’endettement ?
Ce que disent Diba et Ekoué : modernisation et résilience
Les prises de parole officielles résument bien la philosophie du projet.
Le ministre sénégalais des Finances et du Budget, Cheikh Diba, présente l’accord comme une “avancée majeure” pour le financement du développement, en insistant sur :
- la nécessité de créer plus de valeur à partir des actifs publics,
- l’ambition de dégager de nouvelles marges de manœuvre budgétaires,
- la volonté d’accélérer les projets structurants sans recourir systématiquement à l’endettement classique.
De son côté, le président de la BOAD, Serge Ekoué, met l’accent sur :
- l’importance d’exploiter “le potentiel de valeur” des actifs stratégiques,
- le rôle de la BOAD dans la mobilisation rapide de financements,
- la contribution de ce type de montages à la résilience financière du Sénégal et à la solidité de l’intégration régionale.
Le ton est clairement celui d’un partenariat “gagnant-gagnant” : un État qui organise mieux ses ressources, une banque de développement qui se positionne comme innovatrice en matière de structuration d’actifs.
Les angles morts : transparence, gouvernance et risque de “privatisation déguisée”
Évidemment, tout cela reste, pour l’instant, très institutionnel et très positif. Les communiqués officiels vendent la modernité, la performance et la création de valeur. Mais derrière, plusieurs questions sensibles ne manqueront pas de surgir.
Qui choisit quels actifs, et sur quels critères ?
La première question sera celle de l’inventaire et du périmètre :
- Quels ports, aéroports, réseaux, immeubles ou participations publiques seront versés au FOVAS ?
- Comment seront-ils évalués ?
- Quelles contreparties pour l’État s’ils sont concédés ou exploités en partenariat avec le privé ?
Sans processus transparent, le dispositif pourrait alimenter soupçons et polémiques.
Jusqu’où aller avec le privé ?
Deuxième enjeu : la frontière entre valorisation et privatisation.
Valoriser un actif peut impliquer :
- une concession de longue durée,
- une gestion déléguée,
- un partenariat public-privé où le privé prend une part importante.
Le risque politique est évident : si la population perçoit que des actifs “nationaux” sont bradés ou que les tarifs de certains services explosent, le FOVAS pourrait être accusé de servir une “privatisation masquée”.
Capacité d’exécution : l’éternel test africain
Enfin, il y a la question très pragmatique de la capacité d’exécution :
- disposer d’un bel outil sur le papier ne suffit pas,
- encore faut-il des équipes capables d’inventorier, négocier, structurer et suivre des montages complexes,
- et une coordination forte entre ministère des Finances, ministères techniques, agences et régulateurs.
Sur ce point, l’appui de la BOAD peut aider, mais il ne remplacera pas la nécessité d’une gouvernance solide côté sénégalais.
Une nouvelle ère ou un simple habillage financier ?
En signant cet accord avec la BOAD pour la valorisation de ses actifs, le Sénégal envoie un signal : l’ère où l’État se contentait d’être propriétaire “passif” de son patrimoine touche à sa fin.
Sur le papier, le pari est séduisant :
- faire parler la valeur cachée des actifs,
- soulager un budget sous pression,
- financer plus de projets structurants,
- tout en renforçant la crédibilité financière du pays.
Mais comme toujours, le diable se cachera dans les détails :
- transparence des choix,
- équilibre entre intérêt public et rendement financier,
- capacité à éviter que la valorisation des actifs ne se transforme en cadeau fait à quelques initiés.
Entre opportunité et risque politique, le FOVAS sera, dans les prochaines années, un test grandeur nature : celui de savoir si l’État sénégalais peut gérer son patrimoine comme un investisseur avisé, sans oublier qu’à la fin, ces actifs appartiennent d’abord à ses citoyens.
Et au fond, la vraie question sera simple :
Le jour où les Sénégalais regarderont leurs ports, leurs routes, leurs aéroports ou leurs grands immeubles publics, auront-ils le sentiment que ces actifs travaillent enfin pour eux, ou pour d’autres ?
La Rédaction



