Cotonou : L’Afrique de l’Ouest et du Centre se donnent cinq ans pour bâtir une puissance numérique intégrée.
Réunis à Cotonou les 17 et 18 novembre 2025, les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont adopté une “Déclaration de Cotonou” fixant un cap : bâtir, en cinq ans, une puissance numérique régionale intégrée. Porté par la Banque mondiale, le gouvernement béninois et plusieurs organisations régionales, ce projet vise à créer un marché numérique unifié, réduire la fracture numérique et faire du digital un moteur d’emplois et de croissance.
Un sommet régional qui assume l’ambition de l’intégration numérique
Les 17 et 18 novembre 2025, Cotonou a accueilli un sommet régional sur la transformation numérique réunissant des ministres du Numérique et des Finances, des représentants de l’Union africaine, de la CEDEAO, de la CEMAC, de l’UEMOA, ainsi que des acteurs privés et des institutions internationales.
Selon la Banque mondiale et les autorités béninoises, ce rendez-vous avait un objectif clair : accélérer la transition numérique en Afrique de l’Ouest et du Centre et jeter les bases d’un marché numérique régional intégré.
Les échanges ont été structurés autour de trois grands thèmes :
- réduire la fracture numérique,
- développer les compétences et les usages en intelligence artificielle,
- créer des emplois grâce à un futur marché unique du numérique pour la région.
La Déclaration de Cotonou : cinq ans pour changer d’échelle
Au terme des travaux, les pays participants ont adopté une “Déclaration de Cotonou” dans laquelle ils se donnent cinq ans pour construire une véritable “puissance numérique intégrée” en Afrique de l’Ouest et du Centre.
Selon une analyse publiée par Sika Finance, cette déclaration engage les États à :
- harmoniser leurs cadres juridiques et réglementaires dans le domaine du numérique (protection des données, cybersécurité, e-commerce, services financiers digitaux, etc.) ;
- favoriser l’interopérabilité des réseaux et des plateformes pour permettre des services numériques transfrontaliers ;
- coordonner les investissements dans les infrastructures (fibre, backbone régional, data centers, points d’échange Internet) ;
- développer les compétences numériques et l’IA, avec un accent particulier sur l’emploi des jeunes et l’écosystème des start-up.
L’objectif affiché : sortir du modèle de marchés nationaux fragmentés pour bâtir un espace numérique régional cohérent, capable d’attirer des investissements privés et de faire émerger des champions du digital à l’échelle continentale.
Une fracture numérique encore profonde
Les diagnostics présentés à Cotonou sont sans complaisance. D’après la Banque mondiale, seulement environ 40 % de la population en Afrique de l’Ouest et du Centre utilise aujourd’hui Internet, alors que près de 70 % des non-utilisateurs vivent pourtant dans des zones couvertes par les réseaux.
Ce paradoxe met en évidence plusieurs freins :
- le coût élevé de l’accès,
- le faible pouvoir d’achat,
- le manque de compétences numériques de base,
- et parfois la méfiance vis-à-vis des services en ligne.
La Déclaration de Cotonou fait donc de la réduction de cette fracture numérique un chantier prioritaire, avec l’idée qu’un marché numérique intégré ne peut exister que si une part significative de la population est effectivement connectée.
Intelligence artificielle : opportunité ou nouveau risque de décrochage ?
Le sommet de Cotonou ne s’est pas contenté d’évoquer la connectivité. Une place importante a été accordée à l’intelligence artificielle (IA).
Selon les documents de travail, l’IA est perçue comme un levier majeur de productivité et d’innovation, mais aussi comme un risque de décrochage supplémentaire si la région ne développe pas rapidement ses propres compétences et cadres de gouvernance.
Les participants se sont engagés à :
- promouvoir la formation aux métiers du numérique et de l’IA,
- soutenir les écosystèmes de start-up et les hubs technologiques,
- encourager le développement de solutions IA adaptées aux réalités locales (agriculture, santé, éducation, services financiers).
L’ambition est d’éviter que l’Afrique de l’Ouest et du Centre ne soit cantonnée au rôle de simple consommatrice de solutions importées, en favorisant l’émergence de producteurs de technologies.
Vers un marché unique du numérique en Afrique de l’Ouest et du Centre
Au cœur des discussions, l’idée d’un “Marché unique du numérique” pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Selon la Banque mondiale, ce marché intégré doit permettre :
- d’augmenter la taille critique des marchés,
- de faciliter le déploiement régional des start-up et entreprises numériques,
- de stimuler l’innovation dans les services digitaux, les paiements, la fintech, l’e-commerce,
- Et de créer des millions d’emplois à l’horizon 2030.
C’est sur ce point que la Déclaration de Cotonou est la plus structurante : elle inscrit noir sur blanc que l’intégration numérique régionale devient un axe stratégique, au même titre que l’intégration commerciale ou monétaire.
Une ambition crédible, mais sous conditions
Reste la question clé : cinq ans suffiront-ils pour bâtir une “puissance numérique intégrée” ?
Sur le papier, l’ambition paraît forte, voire audacieuse, au regard :
- des écarts de maturité numérique entre les pays,
- de la lenteur habituelle des harmonisations réglementaires,
- des contraintes budgétaires et des priorités concurrentes (sécurité, dette, social).
La réussite dépendra de plusieurs facteurs :
- la volonté politique réelle de mettre en œuvre les réformes ;
- la capacité des organisations régionales (CEDEAO, CEMAC, UEMOA, UA) à coordonner les agendas ;
- la mobilisation durable des financements publics et privés ;
- et la place donnée aux acteurs privés et à la société civile dans la co-construction des solutions.
En se donnant cinq ans pour construire une puissance numérique intégrée, l’Afrique de l’Ouest et du Centre ne manque pas d’ambition. Reste à transformer la Déclaration de Cotonou en décisions concrètes, budgets alignés et réformes appliquées. Le numérique peut être un accélérateur de développement ou une promesse de plus dans les tiroirs ; tout dépendra, désormais, de la capacité des États à passer du discours d’intégration à la mise en œuvre effective.
La Rédaction


