Climat : La BAD veut un Secrétariat permanent d’ici 2027 pour son Mécanisme des bénéfices de l’adaptation.
La Banque africaine de développement (BAD) accélère sur le financement de l’adaptation climatique. À l’occasion de la COP30 au Brésil, elle a annoncé l’entrée en phase de transition de son Mécanisme des bénéfices de l’adaptation (ABM), avec pour objectif la mise en place d’un Secrétariat permanent d’ici 2027. Un signal fort dans un contexte où les financements dédiés à l’adaptation restent largement insuffisants pour l’Afrique.
Lors de la COP30 organisée à Belém, au Brésil, la Banque africaine de développement a officiellement annoncé que le Mécanisme des bénéfices de l’adaptation (Adaptation Benefits Mechanism, ABM) quittait sa phase pilote pour entrer dans une phase de transition qui doit conduire, d’ici 2027, à la mise en place d’un Secrétariat permanent.
Cette étape marque une montée en puissance d’un outil conçu au départ comme un laboratoire, et que la BAD veut désormais installer durablement dans l’architecture internationale du financement climatique. Développé et hébergé par la Banque depuis 2019, l’ABM est présenté comme la première approche non marchande spécifiquement reconnue pour l’adaptation par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dans le cadre de l’Accord de Paris.
Concrètement, la BAD a profité de cet événement pour lancer un appel à manifestations d’intérêt à l’attention des gouvernements et des organisations internationales désireux d’accueillir le futur Secrétariat de l’ABM.
Monétiser les bénéfices de l’adaptation : une nouvelle classe d’actifs
L’ABM repose sur une idée simple mais politiquement explosive : donner une valeur mesurable aux bénéfices de l’adaptation, et non plus seulement à la réduction des émissions de carbone.
Au lieu de ne valoriser que les tonnes de CO₂ évitées, le mécanisme vise à certifier des “Certified Adaptation Benefits” (CABs), c’est-à-dire des bénéfices d’adaptation certifiés, qui deviennent une nouvelle classe d’actifs pouvant être achetée par des gouvernements, entreprises ou institutions pour financer des projets dans les pays vulnérables.
Ces projets peuvent concerner, par exemple :
- la protection d’écosystèmes fragiles (zones sahéliennes, mangroves, bassins fluviaux) ;
- la résilience climatique des communautés rurales (agriculture climato-résiliente, gestion de l’eau, pastoralisme adapté) ;
- la modernisation d’infrastructures pour les rendre résistantes aux chocs climatiques.
L’ABM se positionne ainsi comme une alternative aux mécanismes classiques de crédits carbone, très tournés vers l’atténuation, alors que l’Afrique est en première ligne sur les impacts physiques du changement climatique.
“Chaque dollar doit lever un obstacle réel” : la vision de la BAD
Pour la Banque africaine de développement, ce mécanisme est autant un outil financier qu’un message politique.
Kevin Kariuki, vice-président de la BAD en charge de l’Électricité, de l’Énergie, du Climat et de la Croissance verte, résume l’ambition de l’ABM en expliquant qu’il s’agit d’un instrument que les gouvernements peuvent utiliser pour exiger des émetteurs qu’ils contribuent au financement de l’adaptation. Il insiste sur le fait que, du fait de son caractère non marchand, chaque dollar dépensé pour l’achat d’un CAB est directement affecté à la levée des obstacles financiers auxquels les projets d’adaptation sont confrontés.
Pas de spéculation boursière, pas de volatilité comme sur certains marchés du carbone : l’ABM revendique une traçabilité directe entre financement et impact, un argument clé pour convaincre des investisseurs soucieux de crédibilité et de réputation.
Gareth Phillips, responsable du financement climatique et environnemental à la BAD, insiste de son côté sur la dimension de transparence et d’efficacité : pour lui, l’ABM prouve que l’adaptation peut être financée “de manière efficace et transparente, en dehors des marchés traditionnels”, tout en créant une nouvelle classe d’actifs d’adaptation susceptible d’attirer des investissements pérennes.
Gouvernance ouverte et enjeu géopolitique : qui accueillera le Secrétariat ?
L’entrée de l’ABM en phase de transition s’accompagne d’un enjeu de gouvernance. En lançant un appel à manifestations d’intérêt pour choisir le pays ou l’institution qui accueillera le Secrétariat permanent, la BAD signale clairement qu’elle ne veut pas d’un mécanisme enfermé dans le seul giron d’Abidjan ou d’une structure purement “maison”.
Ce choix d’ouverture est stratégique :
- il crédibilise l’ABM comme outil potentiellement mondial,
- il permet un ancrage politique dans un pays ou une organisation qui pourra en faire un levier diplomatique,
- il ouvre la porte à des partenariats avec d’autres banques multilatérales, fonds climatiques ou coalitions régionales.
L’événement de la COP30 au Pavillon des banques multilatérales a d’ailleurs réuni des représentants du Kenya, du Royaume-Uni, de l’Observatoire du Sahara et du Sahel et du Groupe de la BAD, preuve que le mécanisme commence à susciter un intérêt au-delà du seul continent africain.
Une réponse africaine au déficit de financement de l’adaptation
L’annonce de ce Secrétariat permanent arrive dans un contexte où :
- les besoins de financement pour l’adaptation des pays en développement se chiffrent en centaines de milliards de dollars par an,
- les flux réels restent largement en-deçà des promesses,
- et une grande partie des financements climat reste orientée vers l’atténuation plutôt que vers l’adaptation.
La BAD met en avant l’ABM comme une “alternative prometteuse” aux mécanismes classiques, capable de :
- mobiliser des capitaux privés là où l’aide publique au développement atteint ses limites ;
- documenter précisément les résultats (bénéfices d’adaptation mesurables) ;
- diriger l’argent vers des communautés très vulnérables, notamment dans les zones sahéliennes ou fragilisées par les conflits.
Au Sahel, par exemple, la BAD rappelle que de nombreux bassins-versants et zones humides au Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal sont sous pression : dégradation des écosystèmes, pratiques d’exploitation peu durables, faible résilience des systèmes agro-sylvo-pastoraux, le tout aggravé par le changement climatique. L’ABM et d’autres guichets climat de la BAD sont appelés à renforcer la résilience de ces territoires.
Une phase de transition à ne pas rater
D’ici 2027, l’ABM va devoir prouver plusieurs choses à la fois :
- Qu’il est capable de structurer une gouvernance robuste à travers un Secrétariat permanent.
- Qu’il puisse générer un pipeline crédible de projets d’adaptation, avec des CABs traçables et reconnus.
- Qu’il parvient à attirer des investisseurs privés, au-delà des déclarations de principe.
Pour la BAD, l’enjeu est aussi d’image : si l’ABM réussit, l’institution pourra revendiquer d’avoir créé depuis l’Afrique l’un des premiers mécanismes structurés de financement de l’adaptation à l’échelle internationale.
Dans un paysage où les grandes promesses climatiques se heurtent souvent à la réalité des décaissements, cet objectif de Secrétariat permanent en 2027 sera un test grandeur nature :
est-ce que l’Afrique peut non seulement porter le débat sur l’adaptation, mais aussi inventer les outils techniques qui obligent réellement l’argent à suivre ?
En misant sur l’ABM, la Banque africaine de développement ne se contente pas de réclamer plus de financements pour l’adaptation : elle propose un mode d’emploi. Reste à voir si, d’ici 2027, les gouvernements et les investisseurs accepteront de jouer le jeu. Si c’est le cas, le futur Secrétariat de l’ABM pourrait bien devenir l’un des rares espaces où le mot “solidarité climatique” ne sera plus seulement une formule de communiqué.
La Rédaction


