Marché financier régional : Kossi Tenou prend les commandes de l’AMF-UMOA, le gendarme de la BRVM.
Le marché financier régional change de pilote.
Réuni en session extraordinaire le 25 novembre 2025, le Conseil des ministres de l’UEMOA a nommé le Togolais Kossi Tenou à la tête de l’Autorité des marchés financiers de l’UEMOA (AMF-UMOA), le régulateur unique du marché des capitaux de l’Union.
La session s’est tenue par visioconférence, sous la présidence du ministre burkinabè de l’Économie et des Finances, Aboubakar Nacanabo, qui assure la présidence tournante du Conseil.
Kossi Tenou succède à son compatriote Badanam Patoki, appelé au gouvernement du Togo en qualité de ministre de l’Économie et de la Veille stratégique. Cette promotion au plan national a laissé vacant un fauteuil stratégique à l’échelle régionale, que l’UEMOA vient de pourvoir sans attendre.
L’AMF-UMOA, gardienne de la confiance sur le marché financier régional
Pour mesurer la portée de cette nomination, il faut rappeler le rôle de l’AMF-UMOA.
Issue de la transformation en 2023 de l’ancien CREPMF (Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers), l’Autorité est le gendarme unique du marché financier régional :
- elle régule le marché des capitaux de l’UEMOA,
- elle protège l’épargne investie en surveillant les sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI), sociétés cotées, OPCVM et autres intervenants,
- elle veille à la transparence de l’information financière et à la bonne application des règles de marché,
- elle accompagne le développement de nouveaux instruments : obligations thématiques, titrisation, produits structurés.
Concrètement, son action influence directement :
- la BRVM, plateforme d’échanges d’actions et d’obligations de la zone,
- le marché régional de la dette souveraine, animé par UMOA-Titres,
- et la capacité des États comme des entreprises à lever des ressources à long terme auprès des investisseurs.
Le bilan de Badanam Patoki à la tête de l’Autorité est salué par plusieurs observateurs : renforcement du cadre réglementaire, montée des émissions obligataires, premiers pas sur les obligations vertes et efforts de digitalisation de la supervision.
Kossi Tenou, un technocrate rompu aux mécanismes de l’UEMOA
Avec Kossi Tenou, l’AMF-UMOA reste entre les mains d’un profil profondément ancré dans les rouages de l’Union.
Économiste et haut fonctionnaire togolais, il a notamment été :
- Directeur national de la BCEAO pour le Togo,
- membre de la haute direction de la BCEAO, aux côtés du Gouverneur,
- puis, en octobre 2025, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et de la Veille stratégique, chargé du Commerce et du Contrôle de la qualité au Togo.
Les médias le décrivent comme un profil technocratique, prudent sur les sujets monétaires et très au fait des enjeux d’intégration financière au sein de l’UEMOA.
En le choisissant, le Conseil des ministres mise sur :
- une connaissance fine des mécanismes de l’Union économique et monétaire,
- une bonne maîtrise des interactions entre politique monétaire, marché de la dette et marché actions,
- et un interlocuteur capable de dialoguer à la fois avec les États, la BCEAO, la BRVM, UMOA-Titres et les investisseurs.
Un changement de pilote dans un moment charnière pour le marché
La nomination de Kossi Tenou intervient à un moment où le marché financier de l’UEMOA est en pleine transformation.
Les dernières années ont été marquées par :
- une hausse du volume d’émissions souveraines, avec des États recourant massivement au marché régional pour financer leurs déficits,
- une montée des émissions privées (obligations d’entreprises, programmes d’emprunts obligataires structurés),
- l’émergence de produits innovants (obligations vertes ou sociales, projets de titrisation),
- et des chantiers sur la finance numérique et la digitalisation des processus de marché.
Dans ce contexte, l’AMF-UMOA doit :
- maintenir un équilibre délicat entre développement rapide du marché et protection des investisseurs,
- renforcer la crédibilité de la place UEMOA face aux autres hubs financiers africains,
- et accompagner la montée en puissance de la BRVM et du marché obligataire régional sans compromettre la stabilité.
La stabilité de la gouvernance au sommet de l’Autorité est donc un signal important envoyé aux marchés.
Continuité et attentes : après Patoki, Tenou sous surveillance bienveillante
Le communiqué de l’AMF-UMOA et les articles des médias spécialisés insistent sur la “profonde gratitude” exprimée à l’égard de Badanam Patoki, présenté comme l’un des artisans de la modernisation récente du cadre de régulation.
Pour Kossi Tenou, l’équation est claire :
- assurer une continuité sur les chantiers en cours :
- renforcement des exigences de transparence,
- amélioration des mécanismes de sanction,
- adaptation aux standards internationaux de régulation ;
- tout en imprimant sa marque sur :
- l’approfondissement du marché,
- l’attractivité pour les investisseurs internationaux,
- la gestion des risques liés à la multiplication des produits et des émetteurs.
L’enjeu est de taille : dans une zone où les États, confrontés à des contraintes budgétaires et sécuritaires fortes, ont besoin d’un marché des capitaux solide, l’AMF-UMOA est l’un des garde-fous de la confiance.
Quel impact pour la BRVM et les États de l’Union ?
Pour la BRVM, la nomination de Kossi Tenou est un signal de stabilité institutionnelle. Un régulateur crédible et bien identifié est un atout pour :
- rassurer les investisseurs internationaux,
- soutenir les projets de nouvelles introductions en bourse,
- fluidifier les émissions d’actions et d’obligations des entreprises de la zone.
Pour les États membres, dont le Mali et l’ensemble des pays de l’UEMOA, la continuité à la tête de l’Autorité est aussi un élément clé :
- leurs programmes d’émissions de titres publics (bons et obligations du Trésor) dépendent largement de la confiance dans l’architecture réglementaire,
- les projets de financement de grands travaux via le marché (infrastructures, énergie, télécoms, etc.) supposent un régulateur capable d’anticiper les risques et de sécuriser les investisseurs.
Dans un environnement international où les flux de capitaux se dirigent vers les marchés jugés les plus sûrs et les plus lisibles, l’AMF-UMOA joue, plus que jamais, le rôle d’assureur invisible de la crédibilité de la zone.
Un mandat à fort enjeu : approfondir sans fragiliser
En plaçant Kossi Tenou aux commandes de l’AMF-UMOA, l’UEMOA confie à un technocrate aguerri un mandat à haut risque, mais à fort potentiel :
- assurer la continuité d’une régulation en pleine modernisation,
- accompagner un marché qui s’élargit et se complexifie,
- éviter que la quête de financements ne tourne au laxisme réglementaire.
Le marché, lui, jugera sur pièces.
Pour l’heure, la nomination d’un ancien cadre de la BCEAO, passé par le gouvernement togolais, envoie un message simple : l’UEMOA veut rester maîtresse de son agenda financier, avec un régulateur fort, lisible et politiquement soutenu.
La Rédaction



