UEMOA : Les matières premières africaines prennent l’avion… mais où atterrissent-elles vraiment ?
Un trésor brut qui file à l’étranger !
Or, cacao, coton, pétrole, noix de cajou… L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) regorge de richesses naturelles. Mais la vraie question, rarement posée, est simple : où vont ces matières premières ?
Selon les données du Trésor français et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’essentiel des exportations des huit pays membres (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) prend la direction… de l’Europe et de quelques grandes places mondiales comme la Suisse et l’Inde.
En 2022, le bloc a exporté pour 36,6 milliards d’euros de biens, dont près de 90 % sont des produits primaires — autrement dit, des ressources brutes ou très peu transformées.
L’Europe, premier client et vieux partenaire
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 43,4 % des exportations de l’UEMOA partent vers l’Europe,
- 25,6 % vers le reste de l’Afrique,
- 20,8 % vers l’Asie.
Et le top 4 des clients du bloc ?
La Suisse, première destination grâce à ses raffineries d’or, absorbe près de 20 % des exportations totales.
Le Nigeria, deuxième client (12,5 %), pour les échanges pétroliers et agroalimentaires.
L’Inde (6,9 %), grand acheteur d’or et de cajou.
L’Afrique du Sud (6,6 %), partenaire émergent dans les échanges miniers et financiers.
Autrement dit, les produits africains continuent de nourrir les industries et les marchés étrangers, pendant que les pays producteurs importent… les versions transformées de leurs propres ressources.
Des matières premières… aux marges modestes
Or, cacao, coton, caoutchouc, noix de cajou : voilà les locomotives de la balance commerciale ouest-africaine.
Mais derrière la performance apparente se cache une fragilité chronique : peu ou pas de transformation locale.
- Le cacao, par exemple, représente 14 % des exportations de l’UEMOA. Pourtant, moins de 10 % sont transformés sur place.
- Le coton, à 7 %, quitte souvent le continent sous forme de fibre brute, pour revenir en vêtements finis.
- Et l’or, à près de 30 % des exportations, profite surtout… aux raffineries suisses.
Résultat : les pays de l’Union gagnent sur la quantité, mais perdent sur la valeur ajoutée.
Asie et Afrique : la montée des nouveaux partenaires
Les lignes bougent pourtant. L’Asie, notamment la Chine et l’Inde, accroît chaque année sa part dans le commerce ouest-africain.
Les flux Sud-Sud progressent, même s’ils restent encore minoritaires.
De plus, les échanges intra-africains, soutenus par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), augmentent : l’Afrique absorbe déjà un quart des exportations de l’UEMOA.
C’est une tendance encourageante pour une région souvent accusée de dépendre exclusivement de l’Occident.
Des efforts pour retenir la valeur sur le continent
Face à ce constat, plusieurs États membres tentent d’inverser la vapeur.
- La Côte d’Ivoire s’est engagée à transformer 50 % de son cacao d’ici 2030.
- Le Burkina Faso développe une stratégie d’industrialisation autour du coton et de l’or.
- Le Sénégal, lui, mise sur le raffinage pétrolier et la chimie.
Ces politiques visent un objectif commun : faire en sorte que les matières premières africaines cessent de voyager seules, et partent avec leur valeur ajoutée.
Un enjeu stratégique pour l’avenir
L’indice des prix des matières premières exportées par les pays de l’UEMOA a progressé de 24,9 % au deuxième trimestre 2024 (source : BCEAO/Lactuacho.com).
Mais cette hausse, dopée par la demande mondiale, ne suffit pas à compenser le manque de transformation locale.
Autrement dit : plus l’Afrique exporte de brut, plus elle dépend des autres.
Le paradoxe de la richesse mobile
Les matières premières de l’UEMOA voyagent bien, merci.
Elles quittent Lomé, Cotonou ou Abidjan par cargos entiers, traversent les océans… puis reviennent en chocolat, bijoux, pneus ou vêtements — plus chers, bien sûr.
Une boucle absurde mais bien réelle, que l’Afrique doit rompre si elle veut transformer sa richesse en prospérité durable.
La Rédaction



