Mali – Énergie : Comment les financements de la BAD redessinent la sécurité électrique du pays.
Sécuriser l’alimentation électrique du Mali ne repose pas sur une seule enveloppe, mais sur un faisceau de projets structurants. De l’interconnexion Mauritanie–Mali à l’initiative Desert-to-Power, en passant par les grandes centrales solaires et les interconnexions régionales, la Banque africaine de développement (BAD) est au cœur d’un dispositif de financements qui se chiffre en centaines de millions de dollars, loin de l’unique montant de 68 millions USD parfois évoqué.
Une stratégie électrique malienne bâtie par “briques” de projets
Selon les documents de la BAD et d’autres partenaires techniques, la stratégie de sécurisation de l’alimentation électrique du Mali ne repose pas sur un seul projet isolé, mais sur une combinaison d’investissements complémentaires : interconnexions, centrales de production, renforcement de réseau et électrification rurale.
Dans cette architecture, la BAD et son guichet concessionnel, le Fonds africain de développement (FAD), jouent un rôle central :
- prêts souverains,
- cofinancements avec d’autres bailleurs,
- instruments liés à l’initiative Desert-to-Power,
- soutien à des projets d’interconnexion régionale qui sécurisent l’approvisionnement à moyen et long terme.
33,32 millions USD pour l’interconnexion Mauritanie–Mali (Desert-to-Power)
Un premier montant bien identifié est celui de 33,32 millions USD accordés par la BAD dans le cadre du projet “Desert-to-Power Initiative – 225 kV Mauritania–Mali Electrical Interconnection and Associated Solar Power Plant”.
D’après la fiche de projet publiée sur une plateforme de suivi indépendante qui reprend les données officielles de la BAD, ce financement porte sur :
- la construction d’une ligne électrique 225 kV entre la Mauritanie et le Mali,
- l’intégration de centrales solaires le long du tracé,
- l’extension des réseaux de distribution moyenne et basse tension dans les localités desservies.
Le coût total du projet d’interconnexion est estimé à environ 303 millions USD, financés principalement par le Fonds africain de développement, avec un effet attendu sur 100 000 nouveaux ménages connectés, dont environ 20 000 au Mali selon la BAD.
Pour le Mali, cette interconnexion n’est pas qu’un projet “régional” de plus : elle doit augmenter la capacité d’importation d’énergie, diversifier les sources d’approvisionnement et réduire la dépendance aux centrales thermiques coûteuses.
Desert-to-Power : un cadre global qui dépasse le seul Mali
L’initiative Desert-to-Power, lancée par la BAD, vise à déployer jusqu’à 10 GW de capacités solaires dans 11 pays sahéliens, dont le Mali, et à fournir de l’électricité à environ 250 millions de personnes à l’horizon 2030.
Un rapport d’analyse publié en 2025 rappelle que, malgré des ambitions très élevées, les financements effectivement approuvés restent pour l’instant en deçà des objectifs initiaux, avec seulement quelques centaines de mégawatts de projets clairement financés et en phase de mise en œuvre.
Pour le Mali, Desert-to-Power se traduit par :
- l’appui à des projets d’interconnexion régionale (comme la ligne Mauritanie–Mali),
- la préparation de centrales solaires de grande capacité,
- et un volet important d’électrification décentralisée pour les zones rurales, tel que détaillé dans la Roadmap Mali publiée par la BAD, qui évoque jusqu’à 1,3 million de nouvelles connexions dans un vaste programme d’électrification décentralisée.
Des projets de production solaire à forte capacité, même quand la BAD n’est pas l’unique financeur
La sécurisation de l’alimentation électrique au Mali passe aussi par un portefeuille de grandes centrales solaires, souvent financées via des partenariats public-privé avec plusieurs bailleurs. Parmi les projets structurants :
- Sanankoroba Solar Power Station (200 MW)
Une centrale solaire de 200 MW, en cours de construction près de Sanankoroba, dans la région de Koulikoro. D’après les données publiques, l’investissement global est estimé à environ 217,2 millions USD, sous la conduite de NovaWind, filiale du groupe russe Rosatom, dans le cadre d’un PPP avec l’État malien. L’électricité produite sera vendue à Énergie du Mali (EDM-SA) pour injection dans le réseau national. - Sikasso Solar Power Station (50 MW)
Une centrale solaire de 50 MW en développement à Sikasso, pour un coût estimé à environ 87 millions USD, sous maîtrise d’ouvrage de PowerPro (filiale de Building Energy) et destinée à vendre l’électricité à EDM sous un contrat d’environ 28 ans. - Fana Solar Power Station (50 MW)
Un projet de 50 MW à Fana, dans la région de Koulikoro, pour un coût d’environ 92,7 millions d’euros, développé par Legendre Énergie dans le cadre d’un partenariat public-privé.
Même lorsque la BAD n’est pas le financeur principal de ces centrales, ces projets s’inscrivent dans le même objectif de sécurisation de l’approvisionnement, en réduisant la part du thermique et en augmentant la production locale d’énergie à moindre coût.
Un contexte de forte pression sur le système électrique malien
Pendant que ces projets se montent, le Mali fait face à :
- un déficit chronique de production par rapport à la demande,
- une forte dépendance aux combustibles fossiles importés,
- des défaillances récurrentes du réseau de transport et de distribution,
- et une situation financière délicate de l’opérateur national EDM-SA.
Un rapport de la Banque mondiale sur le secteur électrique malien rappelle que l’enjeu n’est pas seulement d’ajouter de la capacité, mais aussi d’améliorer :
- l’efficacité du réseau,
- les performances commerciales d’EDM,
- et la gestion des pertes techniques et non techniques.
Dans ce contexte, chaque projet soutenu par la BAD – qu’il s’agisse d’interconnexions ou de solaire – joue un rôle dans la stabilisation du système : plus de capacité fiable, plus de diversification, plus d’options d’importation d’électricité à coût maîtrisé.
Pourquoi on ne trouve pas de “68 millions USD” clairement identifié
Dans le paysage des financements énergie Mali-BAD, on trouve :
- 33,32 millions USD pour l’interconnexion 225 kV Mauritanie–Mali (composante Desert-to-Power),
- des enveloppes plus larges au niveau régional, de plus de 300 millions USD pour l’ensemble du projet Mauritanie–Mali,
- des projets solaires et hydroélectriques financés par d’autres partenaires avec des tickets de 50, 80, 200 millions d’USD ou d’euros.
Mais aucune opération clairement tracée à 68 millions USD attribuée à la BAD pour “sécuriser l’alimentation électrique du Mali” ne ressort des bases publiques consultées.
Il est possible que :
- ce montant correspond à une addition partielle de plusieurs composantes,
- ou à une estimation interne ou provisoire non encore reprise dans les communiqués officiels.
En l’état, pour un média économique, il est plus rigoureux de parler d’un ensemble de financements structurants – dont certains montants sont parfaitement sourçables – plutôt que de reprendre un chiffre isolé qui ne figure pas dans la documentation de référence.
Sécuriser l’électricité au Mali : une course de fond, pas un “one shot”
Au final, la BAD contribue à sécuriser l’alimentation électrique du Mali à travers :
- des projets régionaux d’interconnexion qui permettent au pays d’importer de l’électricité plus compétitive,
- des projets relevant de Desert-to-Power, qui doivent augmenter la part du solaire dans le mix,
- et un environnement qui permet à d’autres bailleurs et investisseurs privés de financer des centrales et des réseaux.
Cette stratégie s’inscrit dans une course de fond : les résultats ne se mesurent pas uniquement en montants annoncés, mais en kilomètres de lignes posés, en mégawatts installés et en ménages effectivement raccordés.
La sécurisation de l’alimentation électrique du Mali ne tient pas dans un seul chiffre, ni dans une seule signature de prêt. Elle se construit, projet après projet, gigawatt après gigawatt, à coups de 33 millions ici, 200 millions là, 300 millions au niveau régional. L’enjeu pour Bamako et ses partenaires dont la BAD sera désormais moins d’annoncer de nouveaux montants que de faire aboutir, dans les délais et avec discipline, les projets déjà engagés, pour que les électrons promis finissent par arriver dans les foyers et les entreprises maliennes.
La Rédaction



