Burkina Faso : La suspension des exportations d’amandes de karité prolongée pour protéger la transformation locale.
Le gouvernement burkinabè a décidé de prolonger la suspension de l’exportation des amandes de karité, malgré une fenêtre d’exportation qui devait s’ouvrir du 1er décembre 2025 au 31 mai 2026. Cette décision, annoncée le 19 novembre 2025, vise à garantir l’approvisionnement des unités nationales de transformation, dans une filière stratégique pour l’économie et l’emploi féminin.
Un revirement : de l’autorisation encadrée… à une suspension prolongée
Le Burkina Faso avait d’abord opté pour une approche graduelle.
En septembre 2024, un communiqué conjoint des ministères en charge du Commerce, de l’Industrie et des Finances avait annoncé la suspension de l’exportation de l’amande de karité jusqu’à nouvel ordre, avec blocage des autorisations spéciales d’exportation (ASE). Cette mesure visait déjà à rendre disponible la matière première pour les unités industrielles locales. Selon ce communiqué, relayé par plusieurs médias nationaux, l’objectif était clairement de soutenir la transformation locale plutôt que l’exportation brute.
En septembre 2025, au vu de perspectives de bonne production pour la campagne 2025-2026, le gouvernement avait assoupli sa position : d’après les informations publiées notamment par des médias spécialisés et des sites d’information locaux, les autorités avaient autorisé l’exportation des amandes de karité du 1er décembre 2025 au 31 mai 2026, sous condition que 25 % des volumes destinés à l’exportation soit préalablement cédée aux transformateurs burkinabè. Cette fenêtre d’exportation devait permettre aux exportateurs de reprendre leurs activités tout en sécurisant une part de la matière première pour l’industrie nationale.
Mais le gouvernement a finalement constaté que, malgré ce cadre incitatif, les unités de transformation n’étaient toujours pas suffisamment approvisionnées. C’est ce constat qui conduit, mi-novembre 2025, à un nouveau durcissement.
La décision du 19 novembre 2025 : une période d’exportation reportée, une suspension prolongée
Le 19 novembre 2025, le ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat a annoncé à Ouagadougou le report de la période d’exportation des amandes de karité, initialement prévue du 1er décembre 2025 au 31 mai 2026. Selon le communiqué officiel, cité par un média burkinabè, cette période d’exportation est désormais différée jusqu’à nouvel ordre. En pratique, cela revient à prolonger la suspension des exportations d’amandes de karité.
D’après ce même communiqué, cette décision s’explique par :
- la nécessité de garantir la disponibilité des amandes au profit des unités nationales de transformation ;
- l’importance stratégique de la filière pour l’économie locale, notamment en matière de création de valeur ajoutée et de revenus pour les femmes rurales ;
- le constat que, malgré une bonne campagne annoncée et l’obligation de céder 25 % des stocks aux industries locales, les besoins des transformateurs restent loin d’être couverts.
Cette prolongation confirme donc une orientation claire : la priorité est donnée à la transformation sur place plutôt qu’à la sortie des amandes brutes vers les marchés internationaux.
Un durcissement des contrôles et des sanctions
Le communiqué annonce également un renforcement strict des contrôles sur l’ensemble du territoire. Toujours selon les autorités, relayées par la presse locale, tout contrevenant s’expose à des sanctions particulièrement dissuasives :
- saisie et vente des produits exportés illégalement, les recettes étant reversées au Fonds de Soutien Patriotique (FSP) ;
- confiscation du moyen de transport, celui-ci étant ensuite affecté à la commission d’infrastructure ;
- réquisition du chauffeur, du propriétaire des amandes et de toute personne impliquée pour des travaux d’intérêt général.
Des numéros verts sont également mis à la disposition du public pour signaler tout cas suspect d’exportation illégale d’amandes, dans la continuité des dispositifs mis en place depuis 2024.
Une filière karité stratégique, mais déséquilibrée
Si le gouvernement durcit le ton, c’est parce que la filière karité est loin d’être marginale pour l’économie burkinabè.
Selon des données relayées par des institutions régionales et par la presse spécialisée :
- le Burkina Faso est l’un des premiers exportateurs mondiaux d’amandes de karité, derrière le Nigéria ;
- la filière constitue un pilier de revenus pour des centaines de milliers de femmes rurales, engagées dans la collecte, le séchage et la transformation ;
- les exportations combinées d’amandes et de beurre de karité ont généré plus de 60 milliards de F CFA de recettes en 2023 ;
- la production annuelle d’amandes est estimée à plusieurs centaines de milliers de tonnes, mais la majeure partie est encore exportée à l’état brut, sans transformation locale suffisante.
Les analyses économiques rappellent que l’exportation de matières premières brutes, au lieu de produits transformés (beurre de karité, dérivés cosmétiques, ingrédients de haute valeur), limite la valeur ajoutée captée par le Burkina Faso et prive le pays de recettes fiscales, d’emplois industriels et de savoir-faire.
Un pari assumé sur la transformation locale
En prolongeant la suspension de l’exportation des amandes de karité, le Burkina Faso fait le choix d’une politique industrielle volontariste :
- forcer l’approvisionnement du tissu industriel local, qui se plaignait de ne pas pouvoir sécuriser suffisamment de matière première ;
- encourager la montée en gamme de la filière via la transformation industrielle, plutôt que de laisser partir la quasi-totalité du produit à l’état brut ;
- aligner cette politique sur une stratégie plus large de souveraineté économique et de soutien aux chaînes de valeur nationales.
Reste toutefois plusieurs questions ouvertes, souvent soulevées par les acteurs de la filière :
- les capacités industrielles actuelles sont-elles suffisantes pour absorber le surplus de matière première retenu sur le territoire ?
- les petits producteurs et collectrices, en particulier les femmes, pourront-ils tirer de meilleurs prix sur le marché domestique que sur les circuits d’exportation ?
- les mesures de contrôle seront-elles appliquées de façon équitable, sans pénaliser les acteurs les plus vulnérables ?
En prolongeant la suspension de l’exportation des amandes de karité, le Burkina ne joue pas seulement sur une variable de commerce extérieur. Le pays teste sa capacité à transformer une filière d’exportation classique en un véritable levier d’industrialisation et de souveraineté économique. Reste à savoir si la transformation locale suivra le rythme de la décision politique – ou si la matière première, bloquée aux frontières, finira par étouffer des acteurs qui, eux aussi, cherchent simplement à vivre de l’arbre à karité.
La Rédaction


