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Magaye Gaye : « Oui! Une sortie de l’UEMOA entraînerait mécaniquement une sortie du franc CFA BCEAO. »

À la suite du départ retentissant des délégations du Mali, du Burkina Faso et du Niger lors du sommet de l’UEMOA à Lomé, Nafolo News a interrogé Magaye Gaye, économiste international et expert en montage de projets de développement. Dans cet entretien exclusif, il revient sur la portée politique de ce geste, les implications juridiques d’un éventuel retrait de l’Union, et les conséquences d’une sortie du franc CFA. Entre rupture symbolique, souveraineté monétaire et recomposition régionale, l’avenir des pays de l’AES dans l’espace UEMOA semble plus que jamais en suspens.

Nafolo News

Comment interprétez-vous le départ des délégations du Mali, du Burkina Faso et du Niger en pleine session du sommet de l’UEMOA à Lomé ? Était-ce un simple geste politique, ou un acte de rupture en bonne et due forme ?

Magaye Gaye

Ce départ est un geste politique fort, mais non équivalent à une rupture juridique formelle. Il s’agissait pour les délégations de protester fermement contre la non-attribution de la présidence tournante de l’UEMOA au Burkina Faso, en dépit des règles établies. Ce refus constitue une entorse grave aux principes de rotation sur lesquels l’organisation fonde sa légitimité.

Ce n’est donc pas un départ de l’UEMOA en tant que structure, mais un retrait ponctuel d’une réunion, en signe de désapprobation. Toutefois, le symbole est puissant : il révèle une rupture de confiance et une exaspération croissante face aux décisions perçues comme injustes et politisées.

Nafolo News

Du point de vue du droit international et des textes constitutifs de l’UEMOA, ce retrait symbolique est-il légalement recevable ? Les pays de l’AES peuvent-ils quitter unilatéralement l’organisation sans procédure formelle ?

Magaye Gaye

Juridiquement, non. Les textes de l’UEMOA imposent des procédures de retrait formel, avec notification, délai et consultation. Mais ce qui s’est passé à Lomé n’était pas un retrait de l’Union, mais bien un boycott circonstanciel de la réunion, en raison d’un désaccord majeur sur la présidence tournante.

Je regrette profondément que les règles écrites et non écrites qui gouvernent, en toute connaissance de cause, les principes de rotation au sein de l’UEMOA n’aient pas été respectées. Ce manquement constitue une faute politique lourde, qui aurait pu être évitée par un simple respect des traditions de gouvernance partagée.

En réalité, les trois pays de l’AES n’avaient pas pour objectif de quitter l’organisation, mais de protester contre une entorse délibérée aux règles du jeu, en exprimant leur refus de participer à une réunion dont les décisions sont perçues comme biaisées dès l’origine.

Nafolo News

Quelles sont les implications concrètes pour le fonctionnement de l’UEMOA si ces trois pays membres suspendent ou interrompent leur participation aux instances décisionnelles de l’Union ?

Magaye Gaye

Une telle suspension bloquerait plusieurs mécanismes de concertation. L’UEMOA repose sur une logique de concertation et d’unanimité, surtout dans les domaines monétaires, financiers et réglementaires.

Leur absence affaiblit la légitimité des décisions prises, crée une asymétrie dans la représentation régionale, et peut compromettre la mise en œuvre de certains projets régionaux, notamment dans les transports, l’énergie ou la réglementation bancaire.

Nafolo News

Quels risques économiques courent les États de l’AES s’ils décidaient de quitter formellement l’UEMOA ? Notamment en termes de transferts financiers, d’intégration régionale et d’accès aux marchés ?

Magaye Gaye

Les risques à court terme seraient bien réels, surtout en matière de convertibilité monétaire, de fuite de capitaux et de perte de financements adossés aux mécanismes de solidarité régionale.

Toutefois, ces risques peuvent être atténués par des solutions alternatives : accords bilatéraux, création d’une institution monétaire propre, ou partenariats stratégiques. Il faut surtout noter que ces pays sont déjà dans une dynamique de réorganisation économique, avec la mise en place de leur propre banque de développement.

Nafolo News

Envisager une sortie de l’UEMOA implique-t-il aussi une remise en cause du franc CFA pour les pays de l’AES ? Quelle serait la faisabilité technique et les conséquences d’un tel scénario monétaire ?

Magaye Gaye

Oui. Une sortie de l’UEMOA entraînerait mécaniquement une sortie du franc CFA BCEAO. Cette rupture serait à la fois économique et hautement politique.

Elle est désormais inéluctable pour les pays de l’AES, car elle répond à une exigence de cohérence : ces pays ont dénoncé depuis longtemps la gestion par la France des instances de la CEDEAO, et ils ne peuvent plus évoluer dans une zone monétaire dominée par cette même puissance étrangère.

Sur le plan technique, créer une monnaie souveraine exige du sérieux : une banque centrale crédible, une stratégie anti-inflation, des systèmes de compensation et de paiement robustes. C’est difficile, mais faisable, à condition de s’y préparer méthodiquement.

Nafolo News

Une sortie de l’UEMOA par les pays de l’AES ne risque-t-elle pas d’aggraver leur isolement diplomatique et freiner la coopération économique et sécuritaire régionale ?

Magaye Gaye

Non. Il ne faut pas parler d’isolement diplomatique. Ces pays représentent 75 % du territoire de l’UEMOA, 50 % de sa population et près d’un tiers de son PIB. Ils ont déjà lancé leur propre banque de développement, ce qui montre leur capacité à créer des alternatives.

Sur le plan sécuritaire, ils sont confrontés à des défis immenses. Mais ils ont montré une volonté forte de défendre leur souveraineté territoriale, comme en témoigne la reconquête de Kidal par le Mali. À terme, la stabilité de la région dépendra aussi de la façon dont ces pays coordonneront leurs efforts avec les États côtiers

Nafolo News

Si l’AES décidait de créer ses propres institutions économiques et monétaires, quels seraient les défis et les opportunités pour ces pays ? L’idée d’une union économique sahélienne est-elle réaliste à court terme ?

Magaye Gaye

La création d’institutions économiques ou monétaires propres aux pays de l’AES serait un tournant historique. C’est un projet ambitieux, mais qui s’inscrit dans une dynamique de réaffirmation de la souveraineté.

Les défis seraient nombreux. Il faudrait d’abord concevoir une architecture institutionnelle crédible, capable de susciter la confiance des populations et des marchés. Il serait également nécessaire de mettre en place des mécanismes de gouvernance transparents, de définir une politique monétaire commune, de garantir la discipline budgétaire, et d’assurer l’interopérabilité des systèmes financiers.

Cependant, les opportunités sont considérables. Ces pays pourraient construire un modèle de développement qui repose sur leurs réalités socio-économiques, en s’affranchissant des logiques extérieures. Ils pourraient impulser une coopération sahélienne fondée sur les ressources naturelles, la complémentarité agricole, les grands projets d’infrastructure et une vision commune de la sécurité.

L’idée d’une union économique sahélienne n’est donc pas une utopie. Elle n’est peut-être pas réalisable à très court terme, mais elle devient de plus en plus crédible à moyen terme, à mesure que la volonté politique se renforce et que les institutions alternatives prennent forme.

Nafolo News

Comment les autres pays membres pourraient-ils réagir à une telle rupture ? Existe-t-il des mécanismes de sanction ou de médiation prévus par les textes de l’UEMOA ?

Magaye Gaye

Les textes de l’UEMOA privilégient le dialogue et la concertation. Il n’existe pas de dispositif de sanction automatique en cas de retrait ou de suspension de participation. Toutefois, des pressions peuvent venir de l’ancienne puissance coloniale, ou encore de certaines organisations communautaires liées aux équilibres géostratégiques ou monétaires de la sous-région.

S’agissant du Sénégal, il ne faut pas parler d’ambiguïté. Le pays a clairement posé la nécessité de réformer profondément le franc CFA. Dakar affirme que cette monnaie ne peut plus exister telle qu’elle est aujourd’hui, car elle ne favorise ni l’industrialisation, ni l’autonomie stratégique des États membres. En cela, le Sénégal rejoint sur le fond la posture des pays de l’AES, même si ses méthodes sont plus modérées. On peut donc dire que l’UEMOA est aujourd’hui traversée par deux sensibilités fortes : une tendance souverainiste affirmée et une tendance réformiste, toutes deux critiques envers le statu quo monétaire.

Nafolo News

En cas de retrait effectif, quelles conséquences concrètes cela aurait-il pour les citoyens et les entreprises des pays de l’AES, notamment pour les travailleurs frontaliers, les commerçants, ou les opérateurs économiques ?

Magaye Gaye

Ce sont les peuples qui sont les premiers concernés. Et ces peuples continueront à coopérer, malgré les ruptures institutionnelles. Les commerçants, les agriculteurs, les travailleurs frontaliers, tous continueront à tisser des liens économiques et sociaux, parce que les frontières administratives ne peuvent pas effacer une réalité d’interdépendance ancienne.

Cela dit, une période d’ajustement sera inévitable pour les opérateurs économiques, notamment en matière de réglementation, de fiscalité, de conversion monétaire. Mais cette transition peut aussi offrir de nouvelles opportunités, à condition d’être bien accompagnée.

Nafolo News

Que pensent les autres États membres de l’UEMOA, en particulier le Sénégal, sur ce retrait ?

Magaye Gaye

Le Sénégal adopte une posture de prudence et de responsabilité. Il est attaché à la stabilité régionale, mais il comprend aussi la profondeur des critiques formulées par les pays de l’AES.

Le pays a d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises la nécessité de réformer la gouvernance monétaire et économique dans la sous-région. Il ne s’oppose donc pas sur le fond aux revendications, même s’il continue à miser sur une voie modérée, réformiste et inclusive.

Nafolo News

Pensez-vous qu’une médiation soit encore possible entre l’UEMOA et les pays de l’AES, ou sommes-nous entrés dans une phase irréversible de rupture institutionnelle ?

Magaye Gaye

Je ne crois plus à la médiation. Ce processus de rupture est déjà consommé. Il est assumé, revendiqué et adossé à une dynamique populaire profonde.

Deux scénarios sont désormais envisageables. Le premier serait un changement politique dans les pays de l’AES, qui ouvrirait une brèche vers une éventuelle réintégration. Mais cette hypothèse paraît peu probable à court terme, tant les régimes actuels sont déterminés à bâtir un nouveau modèle de souveraineté.

Le second scénario, plus plausible, serait un élargissement du bloc de rupture au sein même de l’UEMOA. Si des pays comme la Guinée-Bissau ou le Sénégal rejoignent cette mouvance, la configuration géopolitique de l’espace UEMOA pourrait être profondément bouleversée.

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le franc CFA est devenu un symbole de contrainte et de dépendance. Tant que cette monnaie n’est pas sérieusement repensée, toute tentative de médiation apparaîtra comme une simple diversion. Le temps est venu de réécrire les règles du jeu économique régional, avec des monnaies et des institutions en adéquation avec les aspirations des peuples.

La Rédaction

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