Finances des partis politiques au Mali : Entre opacité comptable et urgence de réforme.

Alors que le paysage politique malien est en pleine recomposition, l’audit 2023 des comptes des partis politiques révèle de profondes lacunes dans leur gestion financière. Au-delà de l’enjeu démocratique, c’est la viabilité économique de ces organisations qui est posée, dans un contexte de raréfaction des financements publics.
Une transparence en progrès, mais encore partielle
Sur plus de 300 partis légalement enregistrés au Mali, seulement 59 ont déposé leurs comptes dans les délais réglementaires, selon le rapport de la Section des Comptes de la Cour suprême publié en mai 2024. Un chiffre en légère hausse par rapport aux années précédentes, mais qui reste très insuffisant pour garantir la transparence dans l’usage des ressources financières.
Parmi ces 59 partis, 19 ont vu leurs comptes rejetés, notamment pour non-conformité des pièces justificatives, absence de registre comptable ou défaut de traçabilité des fonds.
« Beaucoup de partis fonctionnent sur une base informelle, avec des caisses parallèles et des contributions non déclarées. C’est un système fragile, opaque, et potentiellement risqué pour l’intégrité politique », souligne un magistrat auditeur au sein de la Section des Comptes.
Un financement majoritairement privé et déséquilibré
Depuis la suppression de l’aide publique en 2018, les partis doivent désormais compter sur leurs propres ressources. En 2023, les 52 partis ayant vu leurs comptes validés ont déclaré 709,8 millions de FCFA de recettes, contre 680,5 millions de dépenses, générant un excédent de 29,3 millions.
Les principales sources de financement sont :
- les cotisations des membres (majoritaires),
- les dons et souscriptions volontaires,
- les activités économiques ponctuelles (formations, publications).
Mais cette autonomie est très inégalement répartie. Deux partis seulement concentrent plus de 40 % des ressources déclarées :
- RPM : 165 millions FCFA
- PMTR : 174 millions FCFA
« En réalité, beaucoup de petits partis survivent à peine. Ils n’ont pas de siège, pas de compte bancaire dédié. Certains n’existent que sur le papier pour des raisons électoralistes », déplore un ancien cadre du Ministère de l’Administration territoriale.
Des failles comptables chroniques
L’audit fait état de graves lacunes comptables. Plusieurs partis n’ont présenté aucun grand livre, ni registre de trésorerie, ni inventaire de leurs avoirs. Certains ont fourni des factures sans mention de bénéficiaire, ou des relevés non signés.
L’absence de comptes bancaires distincts et de documents certifiés limite fortement la traçabilité des fonds, au moment où l’opinion réclame plus de rigueur dans l’usage des ressources à caractère politique.
Réforme en vue : entre assainissement et responsabilisation
Pour y remédier, la Cour recommande :
- de durcir les exigences comptables,
- d’introduire des sanctions automatiques (suspension d’enregistrement, inéligibilité),
- de renforcer les pouvoirs de la Commission nationale des comptes de campagne et de financement politique, créée en 2024.
« L’objectif est clair : seuls les partis sérieux, structurés, transparents, doivent accéder à la reconnaissance légale et à de futurs financements publics », a déclaré le président de la Cour suprême lors d’une audience en avril dernier.
Enjeux économiques plus larges
L’opacité financière des partis fragilise la confiance des bailleurs dans les mécanismes démocratiques. Dans un pays confronté à des défis budgétaires majeurs, la réforme du financement politique devient une condition pour assainir les finances publiques et favoriser une gouvernance plus responsable.
Au-delà du simple audit, c’est donc une refondation économique de l’espace politique malien qui se dessine. Les partis devront s’adapter à un environnement où la rigueur comptable, la performance organisationnelle et la crédibilité économique deviendront indispensables à leur survie.
Y.Berthé