Skip links

Corridor Dakar–Bamako : Le Sénégal suspend les frais de stockage des conteneurs maliens pendant trois mois.

Le Sénégal a décidé de desserrer l’étau autour des opérateurs économiques maliens.
Le Port autonome de Dakar (PAD) a annoncé la suspension, pour une durée de trois mois, des pénalités et frais de stockage appliqués aux conteneurs maliens en souffrance sur ses quais. Une mesure exceptionnelle qui concerne entre 2 000 et 2 500 conteneurs, selon plusieurs sources concordantes.

Cette décision a été officialisée à l’issue d’une mission conjointe des autorités maliennes au Sénégal, conduite par la ministre des Transports et des Infrastructures du Mali, Dembélé Madina Sissoko, accompagnée de représentants des milieux d’affaires et des chambres de commerce.


Des milliers de conteneurs maliens bloqués à Dakar

Depuis plusieurs semaines, le corridor Dakar–Bamako est confronté à une crise logistique majeure.

Sur les terminaux du port de Dakar, plus de 2 000 conteneurs à destination du Mali s’accumulaient, parfois depuis des mois. Les causes sont multiples :

  • insécurité sur certains axes routiers,
  • pénurie de carburant au Mali, qui a freiné les rotations des camions,
  • difficultés pour les transporteurs à assurer la chaîne complète Dakar–Bamako,
  • lourdeurs administratives et engorgement des plateformes logistiques.

Pour de nombreux importateurs maliens, la situation tournait à l’absurde :
les frais de magasinage et pénalités de surestaries devenaient si élevés qu’il était parfois moins coûteux d’abandonner la marchandise que de la récupérer, notamment pour :

  • les produits alimentaires,
  • les intrants agricoles,
  • les pièces détachées,
  • certains produits pharmaceutiques.

Trois mois d’exonération : ce que la mesure couvre réellement

La décision du Port autonome de Dakar porte sur :

  • l’annulation des pénalités de stockage,
  • la suspension des frais de magasinage liés au dépassement des délais de franchise,
  • pour une période de trois mois, afin de permettre l’évacuation progressive des conteneurs maliens.

En revanche, cette suspension ne signifie pas que tous les coûts portuaires disparaissent :
Les droits de port, certains frais de manutention ou de formalités restent dus. Mais le poste le plus explosif – les pénalités de stockage qui s’accumulent jour après jour – est neutralisé pendant ce délai.

Pour les opérateurs maliens, cela représente un bol d’air financier immédiat et une fenêtre de tir pour organiser, dans l’urgence mais sans asphyxie, l’évacuation des conteneurs vers Bamako.


Un corridor vital pour les deux économies

Si Dakar fait ce geste, ce n’est pas uniquement par solidarité. C’est aussi par intérêt bien compris.

Le Mali est un pays enclavé qui dépend de plusieurs corridors pour ses importations, dont celui de Dakar est l’un des plus stratégiques :

  • plus de 80 % du trafic terrestre Mali–Sénégal transite par les installations portuaires sénégalaises, selon le DG du PAD ;
  • le Mali figure parmi les premiers clients du Sénégal, avec plus de 800 milliards FCFA d’exportations sénégalaises vers le Mali en 2024, et environ 662 milliards FCFA sur les neuf premiers mois de 2025.

En clair :

  • un Mali asphyxié, c’est un client affaibli pour l’économie sénégalaise ;
  • un port de Dakar engorgé de conteneurs bloqués, c’est une plateforme moins fluide, donc moins compétitive face à la concurrence d’Abidjan, Lomé, Nouakchott, Conakry ou Tema.

La suspension de trois mois est donc un calibrage politique et économique :
Le Sénégal montre qu’il reste un partenaire privilégié pour le Mali, tout en désengorgeant son port et en préservant sa position de hub régional.


Solidarité affichée, intérêts assumés

Dans ses déclarations relayées par la presse malienne et sénégalaise, le directeur général du Port autonome de Dakar, Waly Diouf Bodiang, insiste sur la dimension fraternelle de la décision, parlant d’un geste de solidarité envers un pays frère en difficulté.

Du côté malien, les représentants des chambres de commerce saluent un “engagement fort et responsable” des autorités sénégalaises, qui évite à de nombreuses entreprises de se retrouver purement et simplement en faillite à cause de frais de port incontrôlables.

Mais derrière la rhétorique de la fraternité, un message plus discret se dessine :

  • le Sénégal veut préserver son image de partenaire fiable et de passage obligé pour le commerce sahélien ;
  • Le Mali, lui, mesure à quel point sa dépendance logistique à un nombre limité de corridors constitue un risque stratégique.

Vers des solutions plus structurelles ?

La décision d’exonération n’est qu’un pansement sur une plaie profonde.

Les discussions entre Bamako et Dakar ont également porté sur des pistes plus structurelles :

  • mise en place d’un mécanisme de suivi conjoint entre autorités, port, transporteurs, chargeurs et chambres de commerce ;
  • accélération du guichet unique portuaire électronique, pour réduire les lenteurs administratives ;
  • réflexion sur la sécurisation des convois Dakar–Bamako ;
  • exploration de solutions logistiques complémentaires, y compris via d’autres ports de la sous-région, pour limiter le risque de blocage total sur un seul axe.

Pour le Mali, la crise actuelle vient rappeler, une fois de plus, la nécessité de diversifier ses accès maritimes et de renforcer ses propres capacités logistiques intérieures.


Une mesure temporaire, une question durable

Pendant trois mois, les opérateurs maliens vont pouvoir souffler, récupérer leurs conteneurs et reconstituer leurs stocks sans subir la double peine du blocage et de la facture salée.

Mais la vraie question reste entière :

Que se passera-t-il à l’issue de ces trois mois si les causes profondes – insécurité, pénurie de carburant, fragilité du transport routier – ne sont pas traitées ?

Sans réponse structurelle, le risque est de voir la même crise se répéter, avec les mêmes effets :
Marchandises bloquées, entreprises étranglées, tension entre partenaires, et, en toile de fond, une économie malienne otage de ses contraintes géographiques.

Pour l’instant, Dakar a choisi d’ouvrir la porte plutôt que de la claquer.
À Bamako, aux acteurs du corridor et aux partenaires régionaux de transformer ce sursis logistique en véritable opportunité de refonte des échanges entre le port et l’hinterland sahélien.

La Rédaction

Accueil
Recherche
Top
Découvrir
Drag