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Dette souveraine : Et si l’Afrique payait trop cher pour un risque parfois exagéré ?

Pour se financer, les États africains n’ont pas le choix : ils empruntent sur les marchés, auprès des bailleurs multilatéraux ou de créanciers bilatéraux. Mais, à profil macroéconomique comparable, ils paient souvent plus cher que d’autres régions du monde. Une situation que de plus en plus d’experts qualifient de “prime de risque exagérée”, ou “Africa premium”.
En clair : l’Afrique serait facturée au-dessus de sa réalité économique, avec des conséquences lourdes sur ses budgets publics et son développement.


Une “prime Afrique” qui renchérit le coût de la dette

Dans le langage financier, les investisseurs exigent une prime de risque pour prêter à un État : plus ils jugent le pays risqué, plus le taux d’intérêt sera élevé.
Sur le papier, c’est logique. Dans les faits, ce mécanisme aboutit souvent à une réalité brutale pour l’Afrique :

  • des taux d’intérêt plus élevés sur les euro-obligations africaines ;
  • un service de la dette (remboursement du capital + intérêts) qui pèse très lourd dans les budgets ;
  • et donc moins d’espace budgétaire pour financer santé, éducation ou infrastructures.

Des travaux du Fonds monétaire international (FMI) montrent qu’il existe bien une prime de risque spécifique à l’Afrique subsaharienne, liée à des facteurs comme la vulnérabilité aux chocs, la gouvernance ou la structure des économies. Mais cette prime est parfois difficile à justifier entièrement par les seuls fondamentaux économiques, ce qui ouvre la porte à la critique d’une surévaluation.


Quand la perception dépasse la réalité

La Banque africaine de développement (BAD) va plus loin et parle d’un “mythe coûteux” qui pénalise le continent : selon ses analyses, la perception du risque africain est souvent plus noire que la réalité, et cette sur-perception se traduit par un coût de financement excessif.

À côté des indicateurs économiques, plusieurs facteurs jouent dans l’ombre :

  • une couverture médiatique très centrée sur les crises, coups d’État, conflits et instabilités ;
  • des stéréotypes anciens sur l’Afrique, encore bien ancrés dans certains cercles ;
  • des comportements mimétiques des investisseurs (effet de troupeau) qui ne prennent pas toujours le temps d’analyser finement chaque pays.

Une enquête relayée par la presse internationale souligne même que ces narratifs négatifs et cette sur-prudence pourraient coûter des milliards de dollars par an à l’Afrique, via des taux d’intérêt injustement élevés.


Les agences de notation dans le viseur

Difficile de parler de dette souveraine sans évoquer les agences de notation internationales. Leurs notes (AAA, B-, CCC+, etc.) influencent directement :

  • le taux d’intérêt que les États devront payer ;
  • l’appétit des investisseurs pour les obligations africaines ;
  • et le jugement global sur la “qualité” d’un pays emprunteur.

Plusieurs études, dont celles du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ont mis en lumière des biais possibles dans les notations des pays en développement, en particulier africains :

  • prise en compte parfois excessive du risque politique,
  • sous-valorisation des réformes,
  • lenteur à rehausser les notes quand la situation s’améliore.

Résultat : des États peuvent se retrouver coincés dans une catégorie “risquée” plus longtemps que nécessaire, ce qui renchérit durablement leurs coûts d’emprunt.

Les agences se défendent en expliquant qu’elles appliquent des méthodologies globales et transparentes, et qu’elles ne font que refléter des vulnérabilités bien réelles (poids de la dette en devises, chocs climatiques, instabilité politique, etc.).
La vérité, sans doute, se situe quelque part entre les deux :
Des risques objectifs existent, mais la manière de les mesurer et de les “tarifer” n’est pas neutre.


Un surcoût qui se chiffre en milliards

Ce surcoût du risque a une réalité très concrète.
Des analyses récentes montrent que si les pays africains étaient notés et “prisses” de manière plus juste, ils pourraient économiser des milliards de dollars par an en intérêts sur leur dette.

Ces montants ne sont pas abstraits :

  • ils représentent des hôpitaux non construits,
  • des écoles non financées,
  • des routes et réseaux électriques qui attendent.

En d’autres termes, une partie du retard de développement tient moins à un manque de projets qu’à un financement trop cher.


Pourquoi la situation ne change-t-elle pas plus vite ?

Plusieurs raisons expliquent la persistance de cette prime exagérée :

  1. Asymétrie d’information
    Les investisseurs disposent parfois de données incomplètes ou peu actualisées sur certains pays africains. Par prudence, ils demandent donc une prime plus forte.
  2. Marchés peu profonds
    Les marchés obligataires africains sont souvent peu liquides. Un manque de profondeur qui renchérit mécaniquement le coût du risque et rend les prix plus volatils.
  3. Faiblesse de la narration africaine
    L’Afrique raconte encore trop peu ses réussites, ses réformes, ses stabilités. Ce vide est comblé par des narratifs externes, rarement à son avantage.
  4. Poids historique des modèles
    De nombreux modèles de risque ont été calibrés dans des contextes occidentaux ou asiatiques. Leur application mécanique à des économies africaines pose question.

Que peuvent faire les pays africains ?

Face à cette situation, plusieurs pistes émergent :

  • Renforcer la transparence budgétaire
    Publication régulière des données de dette, audits, cadres budgétaires clairs : plus l’information est disponible et fiable, moins le risque “inconnu” est facturé cher.
  • Développer les marchés financiers locaux
    En construisant des marchés obligataires nationaux et régionaux plus profonds, les États peuvent diversifier leurs sources de financement et réduire leur dépendance aux marchés internationaux.
  • Soutenir des initiatives africaines d’évaluation du risque
    Des agences de notation panafricaines ou des mécanismes alternatifs peuvent offrir un contrepoint utile, à condition d’être crédibles et techniquement solides.
  • Travailler sur l’image et le récit économique
    Communiquer les réformes, les succès, les trajectoires de consolidation budgétaire : ce n’est pas du marketing creux, c’est une bataille pour corriger la perception du risque.
  • Mobiliser les banques multilatérales
    Utiliser davantage les garanties partielles, les cofinancements et les instruments de partage de risque proposés par des institutions comme la BAD, la Banque mondiale ou Afreximbank.

Que l’Afrique soit exposée à des risques réels, personne ne le conteste. Mais qu’elle paie systématiquement plus cher que ce que ces risques justifient, c’est une autre histoire.
Si le continent parvient à faire réviser ce “tarif d’entrée” sur les marchés, il ne gagnera pas seulement quelques points de base : il gagnera surtout du temps, des marges budgétaires et de l’oxygène pour son développement.
En somme, il ne s’agit pas de nier le risque, mais d’en finir avec la facture exagérée.

La Rédaction

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