
“Ancrage national obligatoire” : Le Burkina exige des sièges sociaux sur son sol.
Le gouvernement burkinabè a adopté, lors du Conseil des ministres du 9 octobre 2025, un avant-projet de loi qui pourrait bien redéfinir la relation entre l’État et le secteur privé.
Le texte, inédit dans la sous-région, impose aux grandes entreprises opérant au Burkina Faso de construire leur siège social sur le territoire national.
Une mesure à portée économique et symbolique, qui vise à renforcer l’ancrage local des acteurs majeurs et à stimuler l’investissement dans l’immobilier d’entreprise.
Une mesure de souveraineté économique
Le projet de loi prévoit que toute entreprise ayant un chiffre d’affaires moyen d’au moins 5 milliards FCFA sur les trois derniers exercices devra disposer d’un siège social construit au Burkina Faso.
Selon le communiqué du Conseil des ministres, il s’agit de “renforcer l’ancrage économique et la visibilité institutionnelle des grandes entreprises opérant sur le territoire national.”
« Ce texte traduit notre volonté de faire du Burkina Faso non seulement un espace d’investissement, mais aussi un espace d’enracinement économique », a déclaré le ministre du Commerce et de l’Industrie, cité par Koaci.
Cette exigence vise à éviter que les principaux centres de décision — souvent domiciliés à l’étranger — échappent au contrôle fiscal et administratif du pays.
Des incitations pour accompagner la mise en œuvre
Le gouvernement entend adopter une approche progressive et incitative.
Les entreprises concernées bénéficieront de facilités fiscales sur certains matériaux de construction et d’autorisations administratives accélérées pour la réalisation de leurs sièges.
Des délais raisonnables seront fixés pour permettre aux sociétés de planifier leurs investissements sans compromettre leur équilibre financier.
Cette approche vise à stimuler la construction d’immeubles modernes, tout en évitant de freiner l’activité économique.
Un message fort au secteur privé
Pour les autorités de la Transition, cette mesure s’inscrit dans une logique de souveraineté et de redevabilité.
Le gouvernement estime que plusieurs grandes entreprises, bien qu’actives sur le marché burkinabè, génèrent leurs bénéfices localement tout en conservant leurs sièges dans d’autres pays, notamment pour des raisons fiscales ou administratives.
« Le Burkina doit cesser d’être un simple lieu de production ou de transit des richesses. C’est ici que la valeur ajoutée doit être reconnue et localisée », a souligné un membre du gouvernement lors de la conférence de presse du Conseil des ministres.
Une première dans la sous-région
Aucune autre législation de ce type n’existe à ce jour dans l’espace UEMOA ou CEDEAO.
Le Burkina Faso devient ainsi le premier pays d’Afrique de l’Ouest à exiger de manière explicite la construction physique du siège social des grandes entreprises sur son sol.
Pour certains observateurs, cette mesure pourrait inspirer d’autres États de la région confrontés à la même problématique : la fuite de capitaux et la domiciliation extraterritoriale des centres de décision économiques.
Des implications économiques et urbaines
Au-delà de la symbolique politique, cette réforme pourrait avoir des retombées concrètes :
- Dynamiser le secteur du BTP, en créant une nouvelle demande immobilière d’entreprise ;
- Générer des emplois directs et indirects dans la construction, la logistique et les services ;
- Accroître les recettes fiscales à moyen terme, grâce à une meilleure localisation des activités économiques ;
- Et renforcer l’image institutionnelle des grandes entreprises nationales et étrangères installées au Burkina.
Les urbanistes voient également dans cette initiative une opportunité de moderniser les pôles économiques du pays, notamment Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
Des défis à surmonter
Si la mesure est saluée pour son ambition, elle soulève plusieurs défis pratiques.
De nombreuses entreprises pourraient invoquer des contraintes financières ou réglementaires pour différer leur mise en conformité.
L’État devra aussi s’assurer de garantir un cadre juridique clair, définir les pénalités en cas de non-respect et éviter toute interprétation discriminatoire entre entreprises locales et étrangères.
Certains acteurs du patronat plaident pour un dialogue constructif afin de concilier les impératifs de souveraineté et les réalités économiques.
Avec ce projet de loi, le Burkina Faso affirme son ambition de relocaliser la gouvernance économique et de mieux capter la valeur créée sur son territoire.
Une démarche audacieuse, symbolique d’une nouvelle ère de souveraineté économique et de responsabilité entrepreneuriale.
Reste à voir si cette réforme, pionnière dans la sous-région, saura transformer l’intention politique en un véritable levier de développement structurel.
La Rédaction