Un matin d’été aux États-Unis, Lamine Dembélé dort encore quand un vacarme métallique vient bousculer son sommeil. Il ouvre la fenêtre et aperçoit, pour la première fois, un camion-benne. Le moteur ronfle, la benne grince, les bacs se renversent dans un bruit sec avant que le camion ne reparte vers d’autres rues.
Pour beaucoup, ce serait juste une nuisance sonore. Pour lui, c’est une révélation.

Quelques jours plus tard, il attend le passage de « son camion » comme on attend un vieil ami. Il sort la poubelle familiale, échange quelques mots avec l’équipe, leur apporte de l’eau glacée. Fasciné, il demande à visiter leur garage. Il y passera ses jours de congé, travaillant bénévolement, absorbant chaque geste, chaque méthode. « Je me suis dit que si j’avais un jour l’opportunité d’amener ça au Mali, je le ferais », raconte-t-il.

Lamine Dembélé n’a pourtant pas grandi dans le bruit des moteurs mais dans le silence des champs. Fils de directeur de l’Agriculture du Mali, il voit le jour dans une ferme, entouré d’arbres et d’animaux. La nature n’est pas pour lui une abstraction, c’est un terrain de jeu, une école de patience. « On a grandi à l’orée de la forêt. Ça a beaucoup influencé mon choix de travailler dans l’environnement. »

MACROWASTE, un nom et une mission

De retour au pays, il fonde MACROWASTE, une entreprise de gestion des déchets ménagers, industriels et spéciaux. Le nom est un manifeste : « Macro », pour la diversité et l’ampleur des déchets traités ; « WASTE », tout ce que les gens rejettent, mais qui peut avoir encore de la valeur.
Sa philosophie est simple : le déchet de l’un peut devenir la ressource de l’autre.

Dès le départ, il parie sur la jeunesse. Non pas par hasard, mais par stratégie. « Les jeunes n’ont pas peur, ils innovent, ils disent ce qu’ils pensent. Ce ne sont pas des “yes-men”. » En août 2021, il orchestre la première grande collecte gratuite à Bagadadji avec trois camions Peugeot flambant neufs. Les habitants, curieux, regardent cette caravane de propreté sillonner les rues.

Un chemin semé d’embûches

La route n’a pas été rectiligne. Après un départ en fanfare en 2011, ses camions sont vandalisés pendant le coup d’État. Lamine suspend les opérations, préserve ses véhicules, puis relance en 2015 avec cinq nouveaux camions.
Aujourd’hui, MACROWASTE est incontournable, mais l’entrepreneur déplore le manque de soutien institutionnel. « Ce n’est pas l’argent qui compte, c’est l’impact social. Mais pour ça, il faut qu’on nous donne la possibilité d’agir. »

L’obsession de la traçabilité

Dans ses locaux, rien n’est laissé au hasard. Chaque camion est identifié, chaque trajet tracé, chaque type de déchet dispose de son propre circuit. Les déchets recyclables vont au centre de tri, les dangereux à l’incinérateur, les autres à la décharge. « Chacun doit être responsable de ses déchets », martèle-t-il, convaincu que la propreté d’une ville commence dans chaque foyer.

Le rêve d’une ville propre

Sa vision est ambitieuse : des centres de tri dans chaque commune, des sites de transfert fonctionnels, des zones d’enfouissement à proximité des quartiers. « Si on n’agit pas maintenant, demain ce sera trop tard. »
Il a déjà présenté un plan complet aux autorités, mais il sait que le chemin sera long.

Un perfectionniste amoureux de la nature

En dehors des camions et des bennes, Lamine reste l’homme qui aime marcher au bord du fleuve, grimper les collines avec ses enfants, respirer l’air des grands espaces. Son défaut, dit-il, est de toujours viser la perfection. Un héritage paternel, tout comme cette devise : « Fais ce que tu aimes, et tu ne travailleras jamais un seul jour de ta vie. »

Dans ses yeux, la flamme est intacte. Comme ce matin aux États-Unis où un camion-benne avait interrompu son sommeil, il reste attentif aux bruits de la ville. Pour certains, ce sont juste des moteurs et des bennes qui grincent. Pour lui, c’est la musique d’un rêve en marche : celui d’un Bamako, ville coquette qui respire !

La Rédaction